Quelles sont les origines de ce film ?
Une origine musicale et aquatique. La rencontre avec le compositeur et chanteur Nicolas Ker. Notre album La Rivière Atlantique d’où a surgi, telle l’Atlantide, Alien Crystal Palace. Nous nous sommes retrouvés à un carrefour de goûts en commun, d’authentiques affinités : la musique de Nick Cave, des Stooges, de Bowie, des Smith, le cinéma de Pasolini, David Cronenberg, Stanley Kubrick, la poésie noire, Dostoïevski, Baudelaire, Les Illuminations d’Arthur Rimbaud, j’en passe. Il y a aussi eu le goût commun pour Philip K. Dick, avec sa façon de faire surgir le surréel. Le script est né ainsi. J’ai commencé à faire des images. Et c’est comme ça que le film est né.
C’est un point commun avec vos autres films d’être au carrefour de l’histoire des arts, que ce soit la musique, la littérature, la sculpture, l’archéologie…
Je ne sais pas… Ce qui est sûr c’est que je suis issue de trois cultures et que je les porte en moi : Américaine de naissance, mère française élevée à New York, enfance au Mexique, et la France, pays d’adoption. Ce fait de se sentir étrangère partout… C’est, finalement, la meilleure des situations ! La part du voyage dans le film, the suburbs of exile (album solo de Nicolas Ker), sa géographie, de Paris au Caire en passant par Venise, son esthétique, le mystère, l’ésotérisme grécoégyptien, articulé autour du Livre des Morts et le thème de la figure platonicienne de l’androgyne, tout ce monde de l’étrange, cette réflexion sur le féminin et masculin, sur la question de savoir comment on s’incarne, cette idée tellement belle, après l’âge d’or grec, du manque chez les êtres, voilà le sujet du film. Il s’agit en fait de la recherche de l’autre pour reconstituer l’androgyne sa moitié perdue qui formera, avec soi, l’identité complète et profonde. Estce un homme ? Estce une femme ? En tout cas c’est l’autre ! C’est l’idéal de l’amour, celui qui vous révèle. La question du parcours amoureux par lequel on passe pour arri ver à cette osmose existentielle… La prédestination… Les fatalités… Estce qu’on est libre ? Estce qu’on choisit ? Cette idée que l’on se croit libre alors qu’on est soumis aux plus grandes forces… C’est, encore, ça le film. Et le fait que la liberté n’est que l’écume des choses. Les grandes vagues, les grands tourments, les grandes passions nous échappent. Elles sont souterraines. L’idée de la soumission à la figure du grand manipulateur qui vit luimême dans un sousmarin en prise directe avec l’inconscient de la salle des machines : c’est le décor de mon film. Tout cela, je l’ai écrit avec Nicolas Ker et un de ses amis qui est médecin urgentiste, Florian Bernas, une sorte de saint laïc, voué à la misère des urgences dans les hôpitaux parisiens, auteur d’un admirable dictionnaire du rock. Et puis mon ami Jacques Fieschi qui est si gentiment venu nous rejoindre, comme un merveilleux script doctor !
Une autre des particularités de votre cinéma, ce sont des castings toujours inattendus, des personnes qui viennent d’univers très différents et qui ne sont pas toujours des acteurs. Ici Michel Fau, Jean-Pierre Léaud, Asia Argento mais aussi le designer Christian Louboutin, le photographe Ali Mahdavi ou encore le galeriste Thaddaeus Ropac ! Pourquoi cette distribution ?
Admiration et amitié ! J’aime m’entourer de gens que j’aime et qui m’inspirent. Et le miracle c’est que, à chaque fois, les gens dont je rêve me disent oui ! Les surréalistes appellent ça : les champs magnétiques ! L’approche en est très mystérieuse et il faut dire assez magique. Michel Fau en grand ordonnateur des mondes… JeanPierre Léaud en Dieu Horus, le Dieu absolu dans la mythologie… L’art de crocheter les inconscients… Mieux que Meetic, Grindr et Tinder réunis ! Fau pense, en gros, qu’il ne faut pas laisser faire la roulette du hasard, il manipule comme un mage doublé d’un psy la salle des machines des âmes, quitte à utiliser les mo yens les plus radicaux. Il croit tellement en sa théorie de la manipulation des êtres qu’il est prêt à tout. Comme les grands illuminés. Et, quand ça ne marche pas, il zigouille ! JeanPierre Léaud, comme Michel Fau, est formidable dans le film. Pour moi, il est une figure qui incarne quelque chose de très fort depuis l’enfance, une sorte de petit Dieu du cinéma. C’est ce qu’il a été pour Truffaut, Godard, Bertolucci, l’enfantroi du ci néma français et de la nouvelle vague. Parfait pour figurer l’enfant roi, l’enfant Dieu. J’aime les acteurs singuliers, j’aime les êtres singuliers en général. Quant à Michel Fau, c'est, à mes yeux, le plus grand acteur contemporain. Mes trois producteurs forment dans le film une sorte de trium virat de fomen tateurs qui sont les bras armés du grand ordonnateur : Ali Mahdavi qui est artiste et immense photographe, Thaddaeus Ropac qui est l’un des gale ristes les plus raffinés, un grand passeur d’art. Et Christian Louboutin qui est aussi un acteurné, à mille facettes. Et puis il y a Asia Argento que j’aime beaucoup et qui est pour moi une figure du féminin révolté. Elle est l’archétype de femme qu’aime le personnage de Nicolas : rock avec tout ce que ça comporte de gothique, d’insurrection et d’autodestruction. C’est le visage de son alter ego mais une rencontre qui ne se fait pas alors qu’ils sont vraisemblablement amoureux l’un de l’autre. Elle est la pierre angulaire fantasmagorique sur laquelle s’articule ce trio d’attra ctions : Dolorès, Nicolas, Asia.
Avec cette esthétique baroque, cette police gothique, ces lieux de pouvoir très liés à l’imagerie religieuse, comment dé finiriezvous cet univers que vous avez créé ?
Je ne sais pas, c’est ce qui m’a tou jours intéressée, le mystère, l’amour, les sociétés secrètes. Et il y a également les influences de Nicolas Ker qui adore Edgar Poe, les films de zombies et d’horreur, Dario Argento, les giallos, une sorte d’esthétique maniériste au service de l’angoisse, du sexe, de la peur et de la mort. Ici le culte du bizarre est tout de même assez rock’n roll !
Et le personnage que vous interprétez, comment s’inscrit-il dans ce monde ?
Mon personnage c’est Dolorès Sugar Rose, le nom que je portais au Crazy Horse. C’est bien de faire revivre des personnages dans la fiction. C’est une créature soumise, aveuglée par ses passions. L’attraction, l’électricité, le pouls qui s’accélère, les battements de cœur, les transes, les évanouissements en sont les symptômes. Dolorès est née aussi des lectures de René Girard, de la triangularité du désir. D’ailleurs le chiffre trois est très important dans tout le film. Il y a les trois valises, qui sont les trois forces du destin, les trois forces qu’on porte en nous, la fortune, l'amour, le crime, les trois passions fondamentales, souvent à notre insu, que manipule le grand prêtre.
Vos films, et celui-là en particulier, s’intéressent souvent aux affres de la création. Dolorès est une réalisatrice de cinéma en proie au doute et aux évanouissements…
C’est ici une vraie mise en abyme même si le personnage de Dolorès est beaucoup moins complexe que je ne le suis. Et puis, vous savez, je suis dans tous les personnages ! Et puis son film est tout de même moins difficile à faire que le mien ! (Rires). Cocteau disait : « pour cette encre de lumière qu’est le cinéma, le génie c’est pousser l’ordre pratique jusqu’à sa plus ultime extrémité ». Le cinéma, c’est une série de sauts d’obstacle, il faut des adaptations immédiates au réel qui n’est jamais comme on le veut ! Je n’aime pas d’emblée ce qui m’est donné du monde, je dois le métamorphoser. Et puis j’aime que mes films soient un peu spectaculaires alors que ce sont des films fauchés ! J’aime le cinéma spectaculaire, c’est mon côté américain, mexicain, j’aime Marvel, le fantastique, le baroque ! Je crois aux transes, aux évanouissements, aux forces en contradiction, à la difficulté d’être. Prendre du réel ce qui convient à l’histoire. Réaliser, c’est être une sorte d’entomologiste, un savant de l’observation, c’est organiser les plans sous le sceau de la recherche de la beauté.
Comment s’est organisé et déroulé ce tournage d’un point de vue pratique justement ?
Cela a été une organisation absolument chaotique. C’est un film que j’ai tourné en cinq semaines, plus trois jours à Venise, donc en très peu de temps. J’ai trouvé des gens adorables pour me prêter des lieux et me faciliter la vie : que ce soit la Chapelle Expiatoire, le Yoyo au Palais de Tokyo, l'Hôtel de Soubises. J’ai eu la possibilité de tourner dans un vrai sousmarin atomique, audelà du secret défense ! Tout cela se fait par complicité, par gentillesse, par amitié. Et c’est ce que j’aime faire. Comme actrice, j’ai été dans des films et des positions très différents, et les réalisateurs avec qui j’ai tourné, qu’ils soient dans l’ombre ou la lumière m’ont tout appris. Biensûr c’est épuisant. Mais je pense au « Just do it » de Warhol…
La bande-annonce d’Alien Crystal Palace a déjà créé le buzz sur internet, certains se moquent, d’autres vont trouver le film pompeux, drôle ou culte. Comment réagissez-vous à la critique ?
J’ai très vite compris quand j’ai commencé à danser, à chanter, à jouer ou à réaliser que le succès est une valeur très relative et qu’il ne fallait pas vivre sous l’œil des assassins. On ne va pas faire les choses en fonction de cela. Freedom ! Cela peut être très violent de se faire ainsi assassiner mais c’est le prix de la singularité. L’histoire de l’art est faite de déphasages, de malentendus. Les gens qui m’intéressent n’ont jamais connu l’adhésion immédiate du plus grand nombre : Mozart enterré dans la fosse commune, Modigliani qui n’a jamais vendu une toile de son vivant, Genêt qu’on a essayé de tuer par tous les moyens, Beckett, Baudelaire, Rimbaud, Bataille ou même Lacan. On s’en fout de l’adhésion du plus grand nombre ! Les critiques font leur métier. Ce film est littéraire, épique, c’est une fable, c'est ce que j'ai voulu. Libre.
Et si on vous parle de série B, de série Z, de premier et de second degré ?
J’adore tout genre au cinéma. Notamment les films de zombies qui m’excitaient au plus haut point quand j’étais au lycée, j’aime la peur, l’angoisse, le sang, la violence, le déchaînement des passions. J’assume tout cela gaiement. Je suis singulière. Mon cinéma l’est aussi. Quant à mon image, c’est
quelque chose dont on n’est pas maître. Donc il faut faire en sorte de ne pas en être esclave. La volonté la plus grande qu’on porte en soi, c’est la volonté de vérité. Et quant à ces histoires de premier et de second degré, ma réponse c’est qu’il faut être funambule. L’humour, la dérision sont des copains, c’est une façon de ne pas être aveugle à soimême par principe et de rester des énigmes à nos propres yeux. Comme dit un proverbe chinois : « On a besoin de têtes brûlées pas de moutons ».
Pour finir, parlons de ce titre très énigmatique, comment l’avez-vous choisi ?
C’est Nicolas Ker qui l’a trouvé. Nicolas est un grand geek, un spécialiste de jeux vidéos, du numérique, des forums sur Internet de sciencefiction ! Il a lancé une fonction « random title » ! Et voilà, c’est tombé làdessus : Alien Crystal Palace ! Et cela nous semblait correspondre en tout point au film. Une évidence !