Qu'est ce qui vous a poussé à faire un titre sur les violences faites aux femmes après l'affaire Weinstein ?
J'avais une chanson dont je n'étais pas satisfaite niveau paroles, mais j'aimais la mélodie et la production. Il y avait quelque chose de très froid, glaçant. Les autres chansons de mon EP sont engagées et militantes, du coup j'avais envie d'écrire une chanson qui traite de ce sujet. Quand l'affaire Weinstein est sortie, ça a été comme un déclencheur, une nécessité de parler de cela. Le sujet collait parfaitement à la musique et vice versa.
Pour le titre de Sauvage, vous avez notamment mené un important travail documentaire. Peut-on en savoir plus sur ce sujet et était-ce un travail aisé ?
Je n'irais pas jusqu'à dire ça, mais effectivement, j'ai passé du temps à lire les témoignages qui sortaient, regarder des émissions, lire des articles, j'écoutais aussi autour de moi les différentes réactions des gens et je les notais pour y revenir. J'ai d'ailleurs été étonnée du silence des hommes. Comme s'ils étaient gênés de ce qui se passait. Au bout d'un moment je me suis mise à écrire, quand je me suis sentie prête à employer le pronom "je", sans qu'il me désigne mais pour parler d'une femme qui aurait subit une agression physique, sexuelle ou non, verbale de la part d'un homme.
Le titre vient-il de l'affaire Jacqueline Sauvage ?
C'est une affaire qui m'a évidement touché. Il est toujours inquiétant de voir comment la justice traite les femmes, une justice très patriarcale en somme, pas très empathique, ni humaine sur ce genre d'affaire et particulièrement sur celle de Jacqueline Sauvage. Le titre Sauvage désigne aussi bien un homme qui aurait un comportement de ce type avec une femme mais aussi cette femme, l'héroïne de ma chanson, qui petit à petit en vient à se connecter avec son moi animal, instinctif et ose enfin se libérer, extérioriser la souffrance et la violence qu'elle renferme. On dit souvent aux femmes de canaliser toute forme de violence, alors que l'on demande le contraire aux hommes. Mais les femmes seraient plus à même de se défendre, si on ne leur apprenait pas à se soumettre, à accepter sans répliquer et à ne surtout pas faire de vagues, en particulier si ça peut mettre à mal un homme. En quelque sorte, on nous demande toujours de servir les hommes.
Comment avez-vous perçu ou ressenti l'affaire Weinstein personnellement ? Selon vous, ce genre d'affaires sont-elles correctement traitées sur le plan médiatique ?
J'ai été soulagée que tout cela sorte et soit enfin pointé du doigt (que ce soit les viols, les agressions, le harcèlement, la drague lourde etc...). Toute cette mentalité et ce comportement de la part de beaucoup d'hommes qui n'est jamais remis en cause. Encore une fois j'aurais aimé entendre plus d'hommes réagir face à l'affaire. Et en même temps, j'ai été attristée qu'on en soit toujours là, que nos sociétés soit disant évoluées, ne se préoccupent pas plus de la place et du sort des femmes au sein même d'un monde fait part et pour les hommes. Je pense que l'intelligence d'une société se mesure à la manière dont elle traite ses minorités, les plus fragiles, les plus démunis, les moins à même de pouvoir profiter du système mis en place...
Parmi les réactions des uns et des autres, il y a eu beaucoup de monde qui s'est ému non pas de ce que les femmes subissaient au quotidien mais du fait que l'on mélange tout, qu'un viol n'est pas la même chose qu'une main aux fesses, etc... Ces personnes n'ont pas compris que les femmes suffoquent depuis bien trop longtemps, et étouffent tout cela en elles. Comme on ne s'en est pas préoccupé avant, tout est sorti en même temps. Quant au remous par rapport à la soit-disant dénonciation (c'était un peu la ligne de défense des personnes contre le mouvement #metoo), cela montre à quel point certains sont passés à côté du problème : n'est-il pas plus important de dénoncer tous ces crimes ou agissements, plutôt que de se dire : non, il ne faut pas le faire car des noms risqueraient de sortir et certains pourraient être de fausses accusations ? Il y a une omerta en France, on cherche encore à protéger les hommes plutôt qu'à défendre les femmes. La parole des femmes s'est libérée, d'abord sur les réseaux sociaux, alors que ceux-là même posent un regard sexiste et écrasant sur les femmes. C'est là toute l'hypocrisie de la société dans laquelle on vit. Celle qui prétend vouloir l'égalité entre les femmes et les hommes mais qui ne fait rien pour les aider, et continue de se moquer de leur condition comme de l'an 40... Evidement, il aurait été souhaitable que les médias de tout bord, n'attendent pas que cette affaire éclate pour parler de ces sujets.
1 an après le scandale "Me Too", pensez-vous que les moeurs ont réellement changé et que les conditions des femmes dans la société ont correctement évoluées ?
Non, et il est trop tôt pour le dire. En tout cas je pense que ça a permis de mettre en lumière ces agissements, ce que subissent et ressentent les femmes. Il y a eu une prise de conscience, et c'est le premier pas. Il faut être positif, j'espère que la condition des femmes à travers le monde va évoluer dans la bonne direction, j'espère qu'on ne va pas revenir en arrière (malheureusement on est en train de le faire sur beaucoup de sujets en ce moment), et j'espère enfin que l'on va comprendre que la condition des femmes est l'enjeu majeur de notre époque. Malheureusement, ce ne sont pas les différents dirigeants d'à travers le monde qui vont améliorer la situation... Les femmes sont invisibles dans nos sociétés, tenues à l'écart. Encore et toujours on les renvoie au domestique, et donc à l'intérieur, loin du monde. Mais il faut des femmes, plus de femmes, dans tous les corps de métiers, aux postes à haute responsabilité, pour que la condition des femmes bouge. Les hommes ne feront jamais rien pour l'améliorer, ça ne viendra que des femmes. D'ailleurs, je suis souvent triste de voir à quel point les hommes sont à mille lieues du quotidien des femmes, à tous les niveaux. Comme si le féminin ne les intéressait pas et pire, comme si c'était rabaissant de s'y intéresser.
Peut-on en savoir plus sur vos choix pour le clip de Sauvage et son tournage ? D'ailleurs, pourquoi l'avoir réalisé en noir et blanc ?
Je voulais travailler à la manière d'un peintre, j'adore le caravagisme, comme les tableaux de cette peintre italienne Artemisia Gentileschi. Aussi, j'ai imaginé un clip qui, esthétiquement, rappelle le cinéma expressionniste allemand, que j'aime. Je voulais travailler les contrastes et donc j'ai opté pour le noir et blanc, car cela permet aussi une intemporalité qui est nécessaire quant au sujet traité. Je l'ai fait entièrement seule, donc le tournage a été costaud ! Plus long que si j'avais eu une équipe à mes côtés, surtout quelqu'un au cadre et à la lumière. J'ai passé du temps à le préparer, dans le moindre détail. Après, pour un film, il y a toujours trois films : celui que l'on écrit, celui que l'on tourne, et celui que l'on monte. Donc le clip a été en constante évolution, avec des idées qui se rajoutent, jusqu'au montage final, et c'est là tout l'intérêt du travail.
Aujourd'hui qu'avez-vous envie de dire aux femmes qui ont été violentées et qui n'osent peut-être pas parler ?
C'est délicat. Je n'ai jamais été dans une telle situation mais je ne peux que me mettre à leurs places, et j'aimerais que l'on déploie plus de moyens pour aider les femmes qui subissent des violences. Aussi que la formation soit meilleure dans les corps de métier confrontés à ces femmes, surtout quand il s'agit des hommes : au sein de la police, de la justice, de la médecine, etc... Il faut que les femmes aient moins peur de porter plainte, de dénoncer, de se défendre. Il faut qu'elles se sentent en confiance avec une de ces autorités citées plus haut, pour franchir le pas. Il faut qu'elles soient mieux accueillies, entendues et protégées. Peut-être alors, elles seraient plus à même de parler.
Par rapport au titre Sauvage, avez-vous l'occasion de mener des actions en faveur de la protection des femmes ? Aimeriez-vous approfondir le sujet avec par exemple des débats avec des associations ou dans le milieu scolaire ?
Oui, ça me semble important surtout dans le milieu scolaire car l'éducation est la clef de tout !
A mon petit niveau, j'essaye toujours de sensibiliser les gens autour de moi quant à la condition des femmes.
J'ai des projets en tête car je pense qu'à un moment, il faut donner à la société, ne pas faire que prendre. Il y a un côté égoïste dans le fait d'être artiste. Dans le fond on le fait pour soit, en espérant que ça touche le plus grand nombre, mais ça vient d'un besoin égoïste de s'exprimer et de poser son regard sur la vie. Il est important d'agir au quotidien si on est habité par un combat. Le mien est celui des femmes, même si j'en ai d'autres, mais c'est celui qui m'anime le plus depuis toute petite, et écrire des chansons ou des scénarï (étant aussi comédienne) n'est évidement pas suffisant. On est engagé si on l'est en action, sinon... ça reste un engagement bourgeois...
Un EP devrait sortir prochainement, peut-on en savoir un peu plus à son sujet et quels thèmes devraient être abordés ?
Mon EP parlera de féminisme, de la place des femmes au sein de la société, de l'égalité hommes-femmes, du désir féminin.
Pour vous, en quoi est-ce important d'avoir des textes engagés ?
Ca n'est pas important, c'est juste que ça me semble inenvisageable de faire ce métier sans l'être, surtout à notre époque. C'est ma façon d'écrire, car c'est ce que je suis. Pour moi, un artiste doit avoir un regard sur la société, une révolte, une rage à cracher. Et ne pas se sentir à l'aise, ni être confortablement installé au sein de cette société. Il y a des chanteurs qui ne chantent que des chansons d'amour. J'ai l'impression que la personne n'a rien à dire, alors elle s'empare d'un sujet universel qu'elle recycle à l'infini... J'ai du mal à les considérer comme des artistes. C'est tiède, c'est vide, surtout si les textes sont inintéressants, s'il n'y a pas de poésie. D'ailleurs une chanson d'amour réussi, pas gentillette, bien écrite, poétique, c'est très rare. Il y en a très, très peu. Mais alors celles-là sont magnifiques !
En tant qu'artiste française, chantant en français, vous avez eu l'occasion de passer sur la BBC. Comment avez-vous ressenti cette mise en avant sur la chaine britannique ?
J'étais contente car c'était pour l'une de mes chansons préférées, très personnelle. Mais j'écrivais alors à l'époque en anglais, car j'habitais à Londres. Je pense d'ailleurs qu'elle ne serait jamais passée à la radio anglaise si le texte avait été en français ! Aussi parce que j'ai collaboré pour cette chanson avec la productrice Marta Salogni (Bjork, FKA Twigs...), qui est une productrice italienne très talentueuse. Et il est très rare de rencontrer des productrices et non pas de producteurs ! En studio, il n'y a que des hommes !
Aurez-vous l'occasion de donner des concerts prochainement ?
Oui, en 2019, pour présenter mon EP.
Que souhaitez-vous dire pour terminer ?
Merci ?!
Merci à Mahrnie d'avoir répondu à notre interview !
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