Cet été, je vais vivre deux rêves. Le premier est de monter le chefd’œuvre d’Edmond Rostand et le deuxième de mettre en scène ce spectacle dans le cadre magnifique de l’abbaye de Villers-la-Ville. Voici plusieurs années maintenant que je prends énormément de plaisir à monter des textes qui s’adressent à un large public. Voir trois générations s’installer dans une salle pour écouter et regarder la même histoire donne beaucoup de sens à mon métier.
On ne monte pas cette pièce avant d’avoir trouvé son Cyrano. Je connais Bernard Yerlès depuis au moins 30 ans, j’ai eu la chance de le mettre en scène dans le rôle de Dom Juan au Théâtre Royal du Parc … C’est tout naturellement que j’ai pensé à lui pour qu’il prête sa chair, sa voix et son… nez au personnage mythique de Rostand. Voici plusieurs années maintenant qu’on revoit Bernard sur nos scènes et c’est tant mieux. C’est un acteur puissant, généreux. A la première lecture, je sentais déjà poindre l’émotion, l’humour et le panache !
Constant Coquelin a 56 ans quand il crée le rôle au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1897. Le vrai Cyrano et la vraie Roxane dont s’est inspiré l’auteur avaient respectivement 25 et 29 ans lors du siège d’Arras dont il est question au quatrième acte. A l’acte suivant, qui se passe au couvent, quinze années sont passées. Ils ont 40 et 44 ans. C’est donc une pièce qui se déroule sur deux époques. Il y a le temps de la jeunesse et celui du souvenir.
Cyrano mourant, visite une Roxane qui s’est éloignée de la vie. Cyrano meurt en 1655 er Madeleine Robineau, dite Roxane, le suivra cinq années plus tard.
L’abbaye de Villers-la-Ville est un décor en soi qu’aucune scénographie ne pourrait effacer. Cela tombe bien avec une pièce comme Cyrano puisque la fin de l’histoire se déroule justement dans un couvent. J’ai donc imaginé que tout le récit se passe dans le souvenir de nos deux héros. Nous commençons par quelques répliques du cinquième acte pour basculer dans le passé, quinze ans plus tôt. Et nous revenons bien entendu au cinquième acte, tel qu’il a été prévu par l’auteur. Cela permet de justifier la présence très forte et symbolique des ruines de l’abbaye.
Pour Roxane, j’ai choisi l’actrice qui incarnait Elvire aux côtés de Bernard Yerlès dans le Dom Juan. Anouchka Vingtier vient de jouer en quelques mois d’intervalle, Ophélie et Lady Macbeth, deux personnages de Shakespeare à l’opposé l’un de l’autre. Dans son parcours d’actrice, elle est donc à cet instant très particulier qui lui permet encore d’incarner la jeunesse tout en abordant déjà des rôles qui exigent plus de maturité. Et c’est exactement ce que je cherchais pour le personnage de Roxane.
J’ai la passion du texte mais aussi des images. C’est avec Vincent Bresmal pour la scénographie et Anne Guilleray pour les costumes, que j’ai rêvé aux images du spectacle. Sans être dans de la pure reconstitution historique, nous serons néanmoins fidèles à la période où se déroule l’action. Certaines pièces peuvent peut-être gagner à être jouée en jeans et pieds nus – j’ai d’ailleurs moi-même monté dernièrement un Scapin qui se passe en mai 68– mais dans le cas de Cyrano, ce serait dommage, je trouve, de passer à côté du plaisir du costume d’époque.
Nous aurons le plaisir de jouer ce spectacle plus de 70 fois, dans des espaces aussi différents que l’abbaye de Villers-la-Ville, le Théâtre Royal du Parc, l’Aula Magna à Louvain-la-Neuve, au Wolubilis à Bruxelles et dans le magnifique Théâtre de Liège. Les vingt acteurs de la distribution vont donc pouvoir prendre le temps d’accompagner leur personnage sur un long parcours, ce qui est malheureusement trop peu souvent le cas. Je voulais remercier tous les coproducteurs qui ont rendu cela possible.